Traiter les inégalités structurelles dans notre pays serait bien plus utile et important qu’une discussion sur le mot “allochtone”.
La ville de Gand a décidé de bannir le mot “allochtone”. C’est une très bonne nouvelle, car c’est un mot exécrable. Mais il faudra faire bien plus, à Gand et dans toute la Belgique.
Deux nouvelles hier dans les médias: le bannissement du mot “allochtone” à Gand et le rapport dévastateur d’UNICEF Belgique sur l’inégalité dans l’enseignement. Quelle nouvelle a été traitée sur Terzake la semaine dernière? Le mot “allochtone”, bien évidemment. Ce petit mot qui est maintenant plus important que la situation désastreuse de notre enseignement.
Vu qu’on en parle, permettez-moi de vous dire ceci: je trouve toute la discussion sur le mot “allochtone” totalement inintéressante. J’ai toujours trouvé ce mot laid. Je dois toutefois dire qu’il ne m’a jamais gêné. Quel Flamand aurait l’audace de m’appeler “allochtone” alors qu’il savent et voient que je suis engagé, que je me sens tout à fait chez moi dans leur capitale, alors qu’eux-mêmes n’osent pas y faire un pas et n’en savent pas plus que les clichés qu’ils voient à la télévision ; alors que j’utilise les deux langues nationales quand la majorité des Flamands hésite dès la première phrase en français ; alors que je profite pleinement de la diversité dans leur propre pays alors qu’ils vivent dans leurs illusions apeurées…discussion sans intérêt donc.
Par contre, je trouve la question suivante intéressante: si nos hommes et femmes politiques (quelle que soit leur affiliation politique) et les organisations de la société civile (je les épargnerai en ne les citant pas) affirment qu’ils travaillent et qu’ils continuent à s’investir pour améliorer la situation des “allochtones”, comment se fait-il que plus de la moitié de ceux-ci vivent dans la pauvreté? Comment se fait-il que notre pays soit parmi les pires en Europe de l’Ouest en ce qui concerne l’inégalité dans l’enseignement et sur le marché du travail? Est-ce cela que leur “travail et engagement” a rapporté?
Selon moi, c’est clair, mais peu osent le dire et l’accepter: la politique, la société civile et les médias ont totalement échoué. Pourquoi? Depuis l’apparition du Vlaams Blok (maintenant Vlaams Belang), il y a environ 25 ans, le débat et les politiques ne portent plus sur l’intégration socio-économique des personnes d’origine immigrée. Il porte, encore aujourd’hui, sur les différences culturelles, l’ethnie et la religion. Les problèmes structurels auxquels ces personnes sont confrontées disparaissent de la discussion. Pire, ils sont eux-mêmes présentés comme étant le problème, car différents des autres. Les médias n’ont ni réussi à poser les bonnes questions, ni réussi à clairement exposer cette évolution. Pire encore, les médias ne se font pas prier pour reproduire le discours culturaliste.
Entretemps, nous en sommes à la troisième ou quatrième génération d’immigrés et les problèmes structurels sont toujours présents. Si ceux-ci ne sont pas combattus, nous les subirons, tout simplement. Il y a assez de recherches qui prouvent que les enfants grandissant dans la pauvreté ont plus de risque d’y rester ou d’y retomber. Ce sont ces enfants et ces jeunes qui se voient refuser un logement décent, une éducation de qualité et une vraie chance sur le marché du travail. Ceci alors que les politiciens et la société civile affirment leur offrir des opportunités.
Les deux premières générations d’immigrants sont restées silencieuses malgré leur traitement injuste. Ne pas faire de vagues et travailler dur, tant que leurs enfants n’auraient pas à subir le même sort. Malheureusement, il n’en a pas été ainsi. Seul un petit groupe s’en est bien tiré. Un petit groupe qui, en plus, dénigre les autres en disant “Prends tes responsabilités, regarde, j’ai bien réussi moi.”
Conséquence de l’inégalité dans l’enseignement, la grande majorité des enfants d’immigrants atterrit dans les filières professionnelles ou dans l’enseignement spécial. Et l’autre inégalité attend ceux qui poursuivent et réussissent néanmoins des études supérieures: celle sur le marché de l’emploi. Le taux de chômage chez les jeunes d’origine immigrée est hallucinant. Leurs parents ont investi en eux des années durant et eux-mêmes ont dû se battre pour y arriver. Le résultat: éduqués, mais sans emploi à cause du racisme et de la discrimination sur le marché du travail. De nouveau, où sont les politiques en charge et les organisations de la société civile qui affirment qu’ils travaillent sur ces problématiques?
Que faire? La politique doit reconnaître qu’elle a failli, et doit résolument opter pour une autre direction, à savoir s’attaquer aux problèmes structurels: la pauvreté, la situation pitoyable du logement et l’importante inégalité au sein de l’enseignement et sur le marché du travail. La société civile doit également mettre ces thématiques à l’agenda et arrêter d’avoir une approche culturaliste qui ne résout rien. Les médias doivent s’intéresser et intéresser aux vrais problèmes, mais également se montrer critiques envers les responsables politiques concernés, afin que ceux-ci prouvent, faits et arguments à la clé, que la situation est bien en train de changer. Nous devrons pour cela avoir un vrai débat et enfin proposer des actions concrètes pour nous attaquer à l’inégalité dans notre pays. Cela me semble bien plus utile et important qu’une discussion sur le mot “allochtone”.
Bleri Lleshi est philosophe politique. Son nouveau livre “De neoliberale strafstaat” paraitra au 2013
Traduction du néerlandais par Olivier Gbezera
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