J’avais onze ans quand j’embrassais une fille pour la première fois. Elle était d’origine marocaine.
Malgré ce que je compte vous raconter, vous vous êtes déjà formé un jugement par rapport à moi comme pour l’autre fille. Nous nous complaisons à simplifier les choses, nous classifions, nous cherchons une explication plausible sans savoir le fin mot de l’affaire. Nous avons tellement l’habitude de voir tout en noir et blanc, qu’on ne s’y arrête plus et qu’on ne se réalise pas que la réalité pourrait être beaucoup plus complexe qu’on le voudrait.
Ce n’est que très tard que je me suis identifiée en tant que bi. C’est surtout cette classification qui me paraissait difficile. La société attend de chacun de nous qu’on convienne parfaitement dans une petite case. Quelque chose d’entre les deux, ça n’existe pas. Imaginez ce que c’est pour un adolescent d’essayer de se définir alors qu’il ne sait pas très bien ce qu’il ressent lui-même.
A l’école primaire j’étais toujours très intégrée et entourée de’ meilleures copines’. Et cette fascination n’a fait qu’augmenter en arrivant en secondaire. La plupart des filles avaient déjà un petit copain, mais cela ne m’intéressait absolument pas. Cela me semblait contre nature. Ce sentiment me mettait en désarroi parce que je me sentais de plus en plus attirée par les filles. Mais de l’autre côté je ne voulais absolument pas être qualifiée de lesbienne à cet âge-là. Tout ce que je voulais, c’était être normale, comme les autres.
Dans notre collège il n’y avait qu’un seul couple de lesbiennes. C’était LE couple lesbien, personne ne connaissait leur nom. J’avais lu que certaines personnes avaient la capacité de détecter l’orientation sexuelle de quelqu’un, le ‘gaydar’, qui permettait aux holebi de sentir si quelqu’un était holebi oui ou non. Je me rappelle que j’évitais à tout prix à avoir un contact visuel avec elles, espérant qu’elles ne perçoivent pas en moi quelqu’un du même bord.
Ce n’est que vers l’âge de quinze ans que ma prédilection pour les filles s’est manifestée de plus en plus. Ma mère en entrant dans ma chambre pour m’apporter quelque chose, s’est arrêtée pour me dire tout simplement : « Tu pourrais aussi mettre des affiches de garçons aux murs.» Ce n’est que des années plus tard que j’ai osé lui confier que je étais bi.
Entretemps, j’ai évoluée. Depuis un an je travaille comme volontaire chez Basta, une association holebi et au HIV-café (The Rainbowhouse), tous les deux à Bruxelles. Je m’arrange pour que les gens se sentent à l’aise chez nous et qu’ils puissent raconter leur histoire. J’ai appris beaucoup de choses, à plusieurs niveaux. Je me suis surtout rendu compte de mes propres références. La façon de laquelle on se forme un premier jugement par rapport à ses propres expériences, normes et valeurs, etc. La prise de conscience n’est arrivée qu’à partir du moment où j’étais capable de mettre de côté mes propres références pour pouvoir aider une autre personne.
Mon désapprobation ne peut pas aider quelqu’un qui me confie qu’il regrette avoir trompé son ami la semaine passée, ou une personne séropositive qui veut arrêter ses médicaments. Je ne peux pas les aider si j’impose mes propres normes et valeurs. Par contre je peux leur demander quels sont leurs motifs afin de mieux comprendre le contexte. C’est grâce à ce travail de volontariat que j’ai appris à connaître et à appliquer cette empathie ; c’est à dire que j’essaie de comprendre les sentiments et les émotions des autres.
Si vous faites attention aux conversations que nous menons, vous allez remarquer combien nous imposons à tout prix nos propres normes et valeurs, pensant aider l’autre individu de cette façon. Je ne crois nullement en UNE vérité, chacun a sa vérité. Que j’estime que l’homosexualité est normale est une valeur très importante pour moi. Mais c’est la mienne. Votre opinion à ce sujet peut être très différente et je la respecte.
Si je vous avoue que je suis holebi, je ne m’attends pas à ce que vous estimiez cela comme socialement acceptable. Bien sûr cela me fait plaisir et je me sens moins blessée et attaquée personnellement s’il y a acceptation, mais en fait la seule chose que j’attends véritablement c’est d’être traitée d’une façon équivalente.
Notre lutte pour les droits accordés aux homosexuels, lesbiennes et hétéros n’est pas d’imposer nos normes mais d’avoir les mêmes droits que les autres citoyens.
Notre société actuelle est très diverse. On n’a jamais appris à gérer cela. A l’école, au cours de math on nous apprend à calculer la superficie du terrain acheté par Sofie et Steven, un couple fraîchement marié; jamais celle du terrain de Elke et Zahra. Nous avons tous nos histoires, nos vérités, nos normes, nos valeurs. Ne les réduisons pas à un cliché facile. Le vrai défi consiste à se rendre compte de la complexité de la réalité afin d’être capable de construire un projet collectif.
N a 22 ans
On est submergé de messages négatifs concernant la jeunesse bruxelloise. Comme s’il n’y avait qu’un seul type de jeune à Bruxelles. Bléri Lleshi, philosophe politique, se lancent dans une campagne d’information intitulée ‘Lettres de Bruxelles’. Chaque mercredi , treize semaines durant, de jeunes Bruxellois prennent la parole.
Les lunettes flamandes par Ibrahim Üçkuyulu
https://blerilleshi.wordpress.com/2014/09/24/lettres-de-bruxelles-les-lunettes-flamandes/
Fille d’ un nègre des sables par Danira Boukhriss Terkessidis
https://blerilleshi.wordpress.com/2014/10/01/lettres-de-bruxelles-fille-dun-negre-des-sables/
Bruxelles n’appartient pas seulement aux navetteurs par Nathaniël Bovin
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